Phelem Version

4. Les années 70-85 :
La femme en pleine stagnation

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Quatre ans plus tard le film Moscou ne croit pas aux larmes sort sur les écrans. Le mélodrame de V. Menchov d'après un scénario de V. Tchernykh a fait un nombre d'entrées record et a été récompensé par l'oscar du meilleur film étranger. Dans cette version "stagnante" de Cendrillon, le monde de la "voie radieuse" est également présent, mais sans accents idéologiques importuns. Il s'intègre dans le mythe actuel de la "femme d'affaires" qui s'est mis en place à Hollywood et en Russie dans les années 70.

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Moscou ne croit pas aux larmes, (1979)

Toutes les femmes d'affaires ont des problèmes avec les hommes, désormais plus sur le terrain du service idéologique, mais sur le terrain de la nouvelle convention des relations génésiques en pleine formation. Tout au long des années 70, à l'Ouest, a lieu un développement brutal du féminisme, se forme une étique de partenariat entre les sexes. En revanche, en URSS, la tendance au retour au système patriarcal était de nouveau à l'oeuvre dans les esprits. Pour n'importe quelle situation socialement tendue, la société russe répond par des interventions de l'archaïsme. L'histoire d'amour ésotérique avec le pouvoir s'est tarie. Et l'homme n'a pas tardé à reprendre sa place légale. Moscou ne croit pas aux larmes est un film du triomphe masculin. Le très fin Alexeï Batalov a beau adoucir les couleurs du personnage dans le rôle de l'ajusteur Gocha, son héros insiste sur le titre définitif de chef de famille. C'est sacré. Et, en dépit du fait qu'elle est directeur soviétique, Katierina a besoin de la puissante main de Gocha.

 

Malgré son bon vouloir, la femme active présente une image peu attrayante : des efforts contrariés, des résultats parfois décevants. L'idéal est de réussir carrière et famille. Mais personne n'y arrive. Il y a là contradiction. D'un côté travailler est normal et indispensable. Mais d'un autre côté, ce travail entre toujours en conflit avec la vie privée et sentimentale. Gêne mineure pour Ouvarova, gêne majeure pour Katia dans Moscou ne croit pas aux larmes : l'ajusteur Gocha rompt parce qu'il ne veut pas d'une femme supérieure.

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Moscou ne croit pas aux larmes, (1979)

Comme nous l'avons vu, quand la femme est trop forte, l'homme faiblit. Et cette situation est ressentie comme anormale. C'est le monde renversé que traduit la confusion des genres de La parentèle de Mikhalkov (1981) où la petite fille est jouée par un gamin. Le message de Ménagez les hommes ! de A. Sery est clair : "le film devrait montrer que toutes ces femmes émancipées ... n'ont pas encore réussi à briser l'aspiration à la liberté et à l'indépendance propres au sexe fort !" Katia de Moscou ne croit pas aux larmes se fait humble devant son Gocha, cette même Katia abandonnée dans sa jeunesse pour avoir caché son état d'ouvrière. Moralité : chacun doit rester à sa place, dans son sexe comme dans son métier, au travail comme à la maison. "Dans une famille, l'homme doit avoir une position supérieure par sa situation professionnelle ; si la femme a un salaire ou un poste plus élevé, ce n'est pas une famille" dit Gocha à Katia (Moscou ne croit pas aux larmes).

 

Comment justifier un tel effacement quand on sait la piètre opinion des femmes sur les hommes ? Opinion renforcée par le cinéma. Moscou ne croit pas aux larmes nous offre une image d'un homme fort, responsable, attentionné, mélange d'ouvrier et d'intellectuel. C'est un ajusteur, statistiquement le métier le plus répandu en URSS mais mal considéré, travaillant pour des chercheurs, milieu prestigieux, qui le déclarent indispensable. Le choix de l'acteur Batalov pour l'incarner n'est pas innocent : ouvrier dans ses premiers films, fiancé idéal de Quand passent les cigognes de Kalatozov (1957), savant pertinent et courageux de Neuf jours d'une année (1961) de M. Romm. Un manuel, certes, mais pas ordinaire. Il sait tout faire : travailler, cuisiner, se battre et citer Dioclétien ! L'homme parfait, doux et dur à la fois, qui respecte le travail de la femme, l'aide à la maison, l'accompagne aux courses mais affirme d'emblée sa prééminence : "Tiens-toi pour dit que ce sera toujours moi qui prendrai les décisions pour la simple raison que je suis un homme". Sa force tranquille subjugue Katia, sa fille, et les spectatrices qui admirent et envient Katia plus pour Gocha que pour son poste de directrice. "J'ai agi comme un homme normal, protéger et prendre des décisions. Tu n'admirerais pas une femme parce qu'elle fait la lessive et sait préparer le repas", dit-il à sa future belle-fille. C'est un véritable discours sur le rôle dévolu à chacun. Les femmes de fer sont fatiguées et veulent une épaule accueillante. Pour les hommes, les affaires, pour les femmes, l'émotion.

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Alexey Batalov

Donc, il semble que la boucle soit bouclée. Le cycle est achevé. Après une décennie de zèle idéologique, après une histoire d'amour dévastatrice avec le pouvoir, on a voulu simplement un peu de "bonheur féminin". (Ainsi tout du moins pensent les hommes).

 

Quelle conclusion tirer de ce court panorama ? D'abord une évolution mouvementée et certaine dans le temps. Les films des temps de nouvelle Eve privilégiaient la citoyenne soviétique, sure d'elle et championne du socialisme. Les films de la fin de l'ère soviétique nous montrent la femme tout simplement. Peut-être une image tendancieuse, mais assez véridique. Ces films se caractérisent par une situation de manque et de crime. La femme donne surtout l'image d'un être meurtri, passif, dominé par sa vie sentimentale et dépourvu d'ambition. Même quand elle est le personnage central, elle manque de dynamisme et subit les événements plus qu'elle ne les provoque. Ce cinéma montre maintenant que le travail est insatisfaisant ou, du moins qu'il ne suffit pas à remplir une vie. Le Cendrillon des années 80 n'a aucune chance de s'en sortir, à moins qu'un prince (bien sûr étranger) ne vienne la chercher pour l'amener au "pays des Merveilles" (un nouveau mythe qui fait rêver : ce thème sera exploité à fond dans le cinéma de Perestroïka : Cerises d'hiver de I. Maslenikov , 1984, Interfille de P. Todorovski, 1989, ...). Et le bonheur, camarade ! ?

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   Cerises d'hiver ,(1984)

Les femmes de ce cinéma ne cessent de manifester une sourde exaspération, un rejet des hommes qui entretient l'antagonisme entre les deux sexes. La seule solution masculine proposée est l'effacement de la femme, le retour aux valeurs traditionnelles. Le cinéma russe d'aujourd'hui l'appuie encore plus ; c'est l'impasse.

 

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