4. Les années 70-85 :
La femme en pleine stagnation

 

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La courte période de relative liberté d'expression consécutive au dégel, mais bientôt close par Khrouchtchev lui-même, a fait place à un contrôle plus sourcilleux. Pourtant, on n'en est plus à l'ère du "positif" obligatoire et le concept de réalisme socialiste est quelque peu mis en veilleuse en tant qu'impératif d'ordre esthétique. Les cinéastes soviétiques sont mis en posture ambivalente : il y a chez eux la volonté de prendre leurs distances par rapport à "l'illusion de la vie réelle" qui résulte de la mise en oeuvre des principes du réalisme socialiste, ce qui suppose une sorte de cache-cache permanent avec la censure. Il est clair que les cinéastes se sont résolus, bon gré mal gré, à jouer le jeu à leurs risques et périls en évaluant jusqu'où ils pouvaient aller. La plupart se sont accommodés de la situation, très peu ont capitulé. Mais il y a eu des résistants. En fin de compte, dans la zone d'ombre créée par la bureaucratie soviétique et la mythologie socialiste ne pouvait pas ne pas apparaître le cinéma qui pourtant cherchait à tout prix à rester en dehors du jeu avec le régime. C'était les films de S. Paradjanov, de K. Mouratova (qui a fait des films remarquables sur la femme), de A. Sokourov, K. Lopouchansky et, cela va de soi, tous les films de A. Tarkovsky, en commençant par Andreï Roublev et en incluant Solaris, Le Miroir, Stalker.

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Le Miroir

La mère (M. Térékhova)

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Le Miroir

La mère (M. Térékhova), le père (O. Yankovski)

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Solaris, 1972 de A. Tarkovski

(Donatas Banionis et Natalia Bondartchuk)

En ce qui concerne la thématique féminine, la plupart des cinéastes l'abordent de manière semblable. Ils peignent un portrait commun de la femme soviétique des années brejnieviennes. C'est une femme active, soignée, coquette. Elle ne connaît pas l'oisiveté : elle a un métier très prenant, des responsabilités : maire dans Je demande la parole (1976) de C. Panfilov, directrice de combinat dans Moscou ne croit pas aux larmes (1979) de V. Menchov. Sérieuse et compétente, elle aime son travail. Elle est intégrée à la société. Cette société est ouverte et facilite l'épanouissement personnel. N'importe qui peut s'élever, en économie, comme en politique. Il n'y a pas d'uniformité des destins. Comme elle a très souvent près de 40 ans, sa situation est donnée. On ne voit ni les études, ni l'apprentissage, ni les obstacles éventuels. A cet égard, l'ellipse de Moscou ne croit pas aux larmes est remarquable : dans la première partie, située en 1957, l'héroïne est ouvrière ; dans la deuxième, en 1978, elle est directrice.

 

Malgré tout, nous n'avons pas affaire à une femme sereine mais éprouvée, à la jeunesse souvent douloureuse. Et voilà qu'en pleine maturité surgit un événement choc qui provoque crise et bilan. Les deux films cités plus haut en sont des exemples : le fils de Ouvarova (Je demande la parole) se tue accidentellement, la solitaire Katia (Moscou ne croit pas aux larmes) rencontre sa dernière chance de bonheur. Le choc bouleverse sa vie privée. La ligne officielle : la famille doit rester unie et le cinéma défend l'institution du mariage. Si la mère célibataire ne choque pas, elle n'a qu'un enfant. Deux relèveraient d'un anticonformisme systématique de moeurs relâchées. De même on évite de montrer le divorce, à moins d'en faire une étude pour démontrer son caractère pernicieux (Ne vous séparez pas de bien-aimés de P. Arsenov, 1979). L'adultère, lui, est condamné (Le merle blanc de Lanskoï, 1981). On est loin de Trois dans un sous-sol (1927) de Romm. Pas d'union libre, bien sûr ! Et pourtant, malgré ces efforts, nous sentons un manque de continence dans le couple, dans l'avenir général. L'optimisme reste mesuré et le happy end tremblotant (Toi et moi  de Larissa Chepitko (1971), Cinq soirées de M. Mikhalkov (1979), La bien-aimée du mécanicien Gavrilov de Todorovski (1981)). Alors que tous les autres médias, la littérature et la loi, par le code de la famille de 1968, exaltent la maternité et insistent sur la fonction éducative de la cellule familiale, le cinéma ne voit que les tempêtes du couple. L'harmonie entre hommes et femmes paraît impossible : chacun reste de son côté. Si les relations varient dans chaque groupe, les femmes semblent plus chaleureuses. La complicité mère-fille, l'entente entre femmes en général sont évidentes (Foyer pour célibataires de S. Samsonov, 1984). Mais il n'y a plus d'égalité possible entre les sexes. Tout est réglé par des rapports de force. Qui l'emportera ?

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Toi et moi de Larissa Chepitko (1971)

A cette époque le paisible bonheur familial est exceptionnel au cinéma et pour les spectateurs eux-mêmes. Dans la chaîne sacrée travail-famille-patrie que la société soviétique a mise à son fronton, le deuxième maillon est extrêmement fragile. Il n'y a plus de communauté mais des êtres qui se côtoient. Nous rencontrons souvent des familles maternelles sans père. L'homme est de nouveau absent et même s'il est présent il est insignifiant. Cela ne doit pas susciter d'étonnement en soi-même : tout héros-homme indépendant ne pouvait agir dans les conditions d'une totale réglementation de la société des années 70. Dans le domaine de la vie sociale, il appliquait seulement les instructions et était membre du collectif, et le rôle du héros revenait à l'Etat, auquel appartenait exclusivement toute forme d'initiative. Mais dans le domaine sexuel non plus, le héros-homme ne pouvait manifester un quelconque esprit d'initiative substantiel : le sexe exigeait d'une manière ou d'une autre des conditions précises, de l'intimité et de l'isolement, loin des regards indiscrets. Mais ceci était impossible dans les conditions d'une pénurie permanente du logement.

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