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4. Les années 70-85 :
La femme en pleine stagnation

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L'homme manifeste des défaillances dans le cadre familial. Très souvent il se révèle faible, hésitant voire lâche dans son rôle de père et de mari. Que de films où il fuit ses responsabilités : Ma femme est partie de D. Assanova (1979), Marathon d'automne de G. Danielia (1979), La parentèle de M. Mikhalkov (1981). Le sport et la vodka l'intéressent plus ! Les hommes s'écartent des femmes. Ils récusent la paternité ; il n'y a plus jamais de père célibataire et le mariage fait peur. Cette fuite, ce rejet traduisent la crainte de matriarcat. Les héroïnes de G. Panfilov réussissent malgré les hommes, parfois contre eux, mais pas avec eux. La réussite féminine a pour prix la solitude.

Dans les films de l'époque brejnievienne on peut saisir un aspect très véridique de la vie des femmes : c'est le manque de confiance et la méfiance de celles-ci envers les hommes. Un homme qui gagne très peu, dépourvu de la possibilité de s'affirmer socialement et le plus souvent alcoolique, voilà, l'image typique de l'époux sur lequel pouvait compter la femme russe. Durant les jours soviétiques, une tel mari était probablement un véritable fardeau, un être capricieux et irresponsable. En prenant en considération la pénurie totale d'hommes, il y avait encore des chances dans un tel contexte que ce mari infantile soit débauché par une autre femme. Cependant un nombre toujours croissant de femmes, ne sachant et ne souhaitant pas se retrouver toute leur vie sur le front de bataille pour le bonheur familial, choisissaient de rester seules, et préféraient recevoir une pension alimentaire et élever leur enfants elles-mêmes. C'est justement ce type de femme qui le plus souvent était portée à l'écran du cinéma des années 70-80, où était dépeinte une certaine réalité de la vie.

 

A la différence de la propagande stalinienne, la propagande brejnievienne abordait sa tâche, et cela de manière extrêmement simplifiée, comme la création avant tout d'images apaisantes et consolatrices. Cette nouvelle propagande fut purifiée de tout esprit d'affirmation agressive de l'idéal mythique du monde futur. Dans la représentation de la femme du cinéma de ces années-là, on cherchait seulement à obtenir un contraste avec ce qu'on pouvait voir dans un wagon de métro archi-comble ou dans une file d'attente devant un magasin.

 

Dans le film de Panfilov Je demande la parole, l'orientation anti-mythologique prend un caractère radical. Le scénario, écrit par le metteur en scène lui-même, était au fond, sinon un remake, tout au moins une inversion de La voix radieuse. L'actrice (N. Tchourikova) crée un portrait psychologique très fin de la femme soviétique modèle qui s'élève des bas fonds pour gravir une des marches prestigieuses de l'escalier de la hiérarchie politique : Elizavieta Ouvarova, maire d'une ville russe ancienne, est agitée par les idées du "culte idéologique". Nous voyons souvent Madame le Maire dans l'exercice de ses fonctions. Mais son projet de développement de la ville est remis sine die, elle doit se contenter de gérer l'héritage du maire précédent. Les véritables décisions sont prises à un niveau supérieur où les femmes sont rares. On lui rogne les ailes. Quel contraste avec La voie radieuse où l'ascension était ininterrompue. Ouvarova est l'héritière directe de Tania Morosova de La voie radieuse, elle aussi se rend au Kremlin pour y parler. Mais les doutes et le sentiment d'impuissance ont remplacé optimisme et triomphalisme. C'est timidement qu'elle demande la parole. L'obtiendra-t-elle ? Le film ne le dit pas. La "voie radieuse" de Cendrillon des années 70-80 n'était qu'un tableau de la décadence et du désagrégation de la mythologie totalitaire.

 

Ouvarova est à la fois une tendre mère et une épouse modèle. Mais le temps lui fait défaut. Même pour se rendre au tir : elle a été championne de tir à l'arc. Son mari, moniteur de sport, encourage l'ascension de sa femme dans sa carrière politique, ne se sentant pas du tout mal à l'aise dans l'ombre impérieuse de celle-ci. Aussi haut que s'élève Ouvarova, elle n'oublie pas sa place auprès de son mari. Tout va bien dans la famille. C'est alors que se produit un tragique accident emportant leur fils adolescent, qui se tue en manipulant maladroitement un pistolet qu'il a trouvé on ne sait comment. Il n'est pas donné aux époux Ouvarov de comprendre que la perte de leur fils est la rançon du service consacré à un idéal mensonger. Ouvarova est une Cendrillon tragique. C'est son geste d'adieu.

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