IV. Les années 70-80 

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III. Les années 50-60 :
La femme dégelée

 

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Après la guerre, la mythocontemplation manifestait des signes évidents de déclin, mais le régime mythocratique était encore vigoureux. A la fin des années 50, il "montra les dents" encore quelques fois. Quelques vagues de répression, qui stimulèrent de nouveau l'extase mytho-créatrice au cinéma, déferlèrent encore sur le pays. Des colosses cinématographiques comme Le Serment de M. Tchaouréli (1946), La chute de Berlin de M. Tchaouréli (1949), L'inoubliable 1919... de M. Tchaouréli (1951), Les cosaques de Kouban de I. Pyriev (1949)... devinrent la mémoire de ce régime.

 

Après la mort de Staline, à mesure que la mythocratie devenait sénile, et que l'univers mythologique perdait de plus en plus de son intégrité, des possibilités de dissidence artistique légale apparaissaient, dont la première manifestation fut le dégel cinématographique. C'était un véritable boum du cinéma d'auteurs, que nous rappellent les films Le quarante et unième de G. Tchoukhraï (1956), Deux Féodors de M. Khoustyev (1958), Quand passent les cigognes de M. Kalatozov (1957), L'enfance d'Ivan de A. Tarkovsky (1962), Le destin d'un homme de S. Bandartchouk (1959), La nuit de carnaval de E. Riazanov (1956), etc.

wpe15.jpg (8199 octets)

Lénotchka (Ludmila Gourtchenko)

La nuit de carnaval, 1956

(écoutez la chanson de Lénothcka, fich.WAV)

L'un des problèmes les plus difficiles est de déterminer quelles sont les limites chronologiques de cette période. Si son début est datable avec suffisamment de précision (1953-1954), alors n'importe quelle proposition concernant la limite temporelle finale peut être facilement discutable. Si on ne tient pas compte du fait qu'il dépend de la politique, le cinéma prend dans ces années-là son propre élan de développement, qui n'a été retenu que dans les années 70. En considérant cette circonstance, on peut dire que le dégel cinématographique a duré presque vingt ans.

 

A la fin de la longue période stalinienne, le cinéma soviétique dépérissait désespérément. En 1951, seulement huit longs métrages de fiction furent produits. A la distribution, seul un film sur quatre était de production nationale. Beaucoup de metteurs en scène célèbres tombèrent dans un immobilisme forcé, et les élèves des promotions de l'Institut cinématographique national (VGIK) ne pouvaient trouver du travail que dans le cinéma documentaire ou scientifique. La situation était si menaçante qu'en 1952 le XIXème congrès du PC fut contraint de prendre une résolution spéciale sur l'élargissement de la production cinématographique. Cependant la véritable fin de la "pénurie cinématographique" n'eut lieu qu'en 1954 (un an après la mort de Staline), quand furent produits d'un coup quarante cinq films de fiction. Six ans après, la "récolte cinématographique" annuelle dépassa cent films. De plus, la majeure partie d'entre eux fut réalisée par les auteurs de la nouvelle génération.

 

La croissance quantitative s'accompagnait de sérieux changements qualitatifs. Déjà dans la deuxième moitié de la période des années cinquante, des films apparaissent, qui se différencient si manifestement des films de cette même décennie, qu'ils semblent appartenir à une autre époque culturelle. L'évolution créatrice impétueuse du cinéma soviétique durant la période dit du dégel est évidente, mais sa nature, son suivi logique et son mécanisme interne ne sont pas tout à fait compris jusqu'à présent par les historiens du cinéma. Pour les critiques des années 50-60, le cinéma du dégel apparaît comme l'héritier direct du cinéma classique soviétique des années 20-30 et comme l'antipode de l'art didactique d'apparat de la fin de la période stalinienne. Selon cette version, le cinéma soviétique, après une courte infidélité au réalisme, revint vers une représentation réaliste et éclectique de la vie dans toute sa complexité. Mais des études critiques plus tardives n'ont examiné le cinéma du dégel et le cinéma d'avant-guerre que comme des variations d'une même mythologie soviétique, et n'ont pas révélé non plus leur différence fondamentale. Les deux conceptions se rejoignent dans la négation de la profonde évolution cinématographique durant cette période, et ne reconnaissent que les changements stylistiques et thématiques. Mais cela vaut tout de même la peine d'aller plus loin : le dégel est avant tout un "drame d'idées", un ébranlement des bases spirituelles de l'art cinématographique soviétique, un renouvellement incohérent, contradictoire, mais, en plus de cela, absolument radical de son esthétique, de son système de valeurs et de son rôle social. L'esprit novateur du dégel n'était pas programmé, c'était une expérience intuitive de l'auto-affirmation de la personnalité humaine, une rupture spontanée dans plusieurs directions à la fois. C'est une expérience unique à sa manière, qu'on ne peut pas ramener à n'importe quels analogues politiques ou culturels, et pour laquelle il est impossible de trouver une dimension commune. Une certaine féminisation qui lui est propre devient l'une de ces dimensions : l'infidélité à la fermeté des idées, l'affaiblissement de l'homme, l'apparition d'une vaste thématique féminine et, avec elle, d'une nouvelle image de la femme (féminine, intolérante et abusive à la fois, et même parfois condescendante vis à vis de l'homme). On pourrait se demander en quoi cette représentation de la femme se différencie de ses soeurs aînées des années vingt. A première vue c'est la même nouvelle Eve, émancipée, indépendante, maîtresse en toutes choses. Mais souvenons-nous que pendant des années beaucoup d'épreuves furent son lot : la guerre, les répressions, l'industrialisation... En trente ans, depuis la révolution, la conscience qu'avait la femme de sa propre émancipation évolua et, si l'on peut s'exprimer ainsi, atteignit un âge mûr. Elle n'avait plus à lutter pour obtenir l'égalité des droits avec l'homme, maintenant elle devait lutter pour l'homme.

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