III. Les années 50-60 :
La femme dégelée

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IV. Les années 70-80

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L'image du Chef pétrifiée dans les rayons de la Victoire devint, après la guerre, cette idole, dont s'écartait, d'abord discrètement, puis de façon manifeste, le nouveau cinéma soviétique post-stalinien. Ce cinéma cherchait simplement une personne représentant le genre humain. Il la cherchait sous les traits d'un simple soldat : chez Tchoukhraï avec le film La ballade du soldat (1959), sous les dehors d'une femme ordinaire : chez Kalatozov avec Quand passent les cigognes (1957), sous l'apparence non défigurée d'un soldat de la révolution : chez Alov et Naoumov avec Pavel Kortchaguine (1956). Mais il trouva un jeune intellectuel, dont l'esprit rêveur flou, la spiritualité pondérée, la superficialité inconsciente devinrent le meilleur diapason du temps : Neuf jours d'une année de M. Romm (1961), J'ai vingt ans de M. Khoutsiev (1964), Je me ballade dans Moscou de G. Danielia (1963). Cependant cet intellectuel rêveur, "enfant du vingtième Congrès" (ici il est fait référence au congrès du PCUS de 1956 qui amorça le dégel), idéaliste des années soixante fut attaqué depuis les cieux et la terre. Chez Tarkovsky, le héros est placé dans le contexte du tragique, d'une impasse globale, d'une dévastation suicidaire de l'âme arrachée au milieu maternel.

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La ballade du soldat, (1959)

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Je me ballade dans Moscou, 1963  

Images

Extrait 1

Mais d'où sort donc cet homme "faible", réflexif à tout propos ? Comme nous l'avons vu plus haut, conformément au canon de la mythologie officielle stalinienne, la femme incarne avant tout la source de fécondité et de maternité, et son hypostase dans cette qualité est la Mère-Patrie. On comprend alors que pas un seul homme concret ne peut l'emporter sur l'héroïne, étant donné qu'il est le fils de la Patrie. L'unique incarnation accomplie du principe masculin devant laquelle elle incline le front est le petit Père des peuples. C'est lui qui, précisément dans ce système, apparaît comme l'unique partenaire et maître authentique, auquel elle se soumet. C'est précisément lui qui demeure avec elle et ses enfants. Mais alors où demeure le mari, l'élu de l'héroïne ? Après avoir embrassé mentalement l'étendue du cinéma de la période des années 30-50, il est clair que le héros apparaît dans la maison pour un court instant, entre deux exploits, pour étreindre son épouse, qui est toujours en train d'attendre patiemment de ses nouvelles, pour contempler l'enfant qui dort paisiblement, et puis repartir. Vers de nouvelles batailles, de nouvelles victoires ! Il n'y a pas d'autre place plus concrète pour lui dans la maison. Dans le sens mythologique, l'homme concret n'existe apparemment pas du tout à la maison. Il se dissout dans cette unité de la Mère-Patrie, du Père-Staline et de leurs nombreux enfants. Rappelons aussi qu'après la deuxième guerre mondiale, la disproportion entre le nombre de femmes et d'hommes atteignait, en réalité, vingt millions d'individus (le recensement qui eut lieu en 1939 annonçait 170 millions de soviétiques). La plus grande partie de la génération des années soixante a grandi sans pères. Et toute sa création cinématographique sera plus ou moins marquée par le complexe d'Oedipe. Notons que toute l'oeuvre d'Andreï. Tarkovsky (qui, lui-même, a grandi sans père) en est un exemple éloquent. Dans presque tous ses films, il a essayé d'incarner (et peut-être, de cette manière, de se libérer) une certaine image obsessionnelle, terrifiante et à la fois attirante de la Mère, de l'Epouse, de la Femme, de la Féminité.

 

Dans le cinéma stalinien le héros et l'héroïne étaient avant tout le Verbe incarné (la parole de la loi, de l'ordre, de la normalité), sacral. C'est pourquoi les cinéastes du dégel ont surtout essayé de se débarrasser du joug de ce Verbe. L'apparition de l'homme dans une qualité autre, profane, a conduit à la naissance d'un conflit brisant l'ancienne logique de développement. Vers le milieu des années cinquante, une explosion du langage et de la conception du monde à l'intérieur du cinéma, et un vague pressentiment d'hétérogénéité du cinéma lui-même ont commencé à mûrir.

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IV. Les années 70-80

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